Les hauts dirigeants du NPD n’ont pu bâillonner les délégués au congrès

Par Barry Weisleder

(Traduction libre de l’anglais)

Le congrès à Ottawa, du 16 au 18 février, ne marquait pas uniquement l’occasion de lancer Jagmeet Singh en tant que nouveau chef du Nouveau Parti Démocratique travailliste. Ce fut aussi une tentative, pas entièrement réussie, d’établir son contrôle sur l’appareil du parti et d’imposer un message politique timoré. À cet égard, ce fut un effort de promotion hautement centralisé, à la Jack Layton, conçu pour éviter la controverse et ainsi, restreindre le débat constructif.

D’abord, la direction du parti relégua au bas de la liste des priorités les motions progressistes, endossées par des douzaines d’associations de circonscriptions locales du NPD, qui portaient sur des enjeux tels que la démocratie, le Moyen-Orient, l’OTAN, l’ALÉNA, les nouveaux oléoducs, l’élimination des droits de scolarité postsecondaires, la propriété publique, la progressivité du régime fiscal, etc. Ainsi, on voulait s’assurer que ces motions ne furent pas soumises à vote au congrès. Des ateliers préliminaires, qui se sont déroulés tôt vendredi matin, ayant pour but de considérer des amendements à la liste de priorités déterminée par la bureaucratie du parti, furent dominés par l’aile droite et entravés par de nombreux obstacles procéduraux.

Néanmoins, des arguments contestataires et pointés furent avancés, et les membres de la base, comptant des centaines de jeunes et de nouveaux délégués, réussirent à effectuer des percées. Voilà qui s’annonçait l’élan du futur.

Durant le panel sur les politiques d’affaires extérieures, alors que plus de 400 personnes bondaient la salle, une motion visant à prioriser une version atténuée de la résolution proposant le boycottage, le désinvestissement et les sanctions (BDS) envers Israël fut débattue. Elle échoua par seulement 11 votes. Lors d’autres panels, les délégués ont lutté ardemment pour des motions promouvant des politiques de scolarité gratuite et la consultation par internet des membres du NPD sur les priorités politiques, ce qui a porté ses fruits.

Nombre des 1 751 délégués enregistrés au congrès ont exprimé leur désarroi devant l’obstructionnisme qui se dressait dans les parages. On eut recours à une série de motions d’ordres et d’arguments procéduraux afin de court-circuiter les résolutions établies en sessions plénières. Les supporteurs du Caucus Socialiste ont évité de telles tactiques, à une seule exception significative.

Nous avons contesté l’intimidation flagrante et les tactiques dominatrices employées par les sbires de Jagmeet (qui tentèrent de saisir contrôle de tous les microphones, pour et contre, et de museler les voix pour la Palestine lors du débat, samedi soir, sur les affaires mondiales), et nous avons été plutôt fructueux.

De ce fait, le cas de la prisonnière politique palestinienne Ahed Tamimi, âgée de 17 ans, emprisonnée par Israël pour avoir « embarrasser l’Occupation », fut rapporté à la télévision nationale. La couverture médiatique porta sur un groupe de délégués, plus d’une centaine en nombre, et principalement composé de jeunes, qui ont formé deux files au centre de la salle de congrès, brandissant des affiches sur lesquels on pouvait lire « Free Tamimi ». Le Caucus Socialiste a aussi réussi à recueillir une majorité (558 votes, 56,1 pour cent) afin d’ajouter 30 minutes à la session plénière pour débattre l’enjeu du Moyen-Orient. Malheureusement, nous n’avons pas atteint la majorité renforcée nécessaire de deux tiers des votes pour réussir à modifier l’ordre du jour. La politique adoptée, énonçant le statu quo, les-deux-côtés-sont-responsables-de-la-violence, la solution obsolète de la création de deux États, en laissa plusieurs à se demander ce qu’était devenu de l’engagement aux libertés civiles vanté par l’avocat Jagmeet Singh.

Alors que le temps filait, les socialistes n’ont pas tenté d’expédier des résolutions sur les politiques d’équité, même si les motions non controversées (tels que la modification du titre d’un comité du parti) ont empêché que soient abordés d’autres enjeux plus contentieux. Il va sans dire que nous avons voté en faveur de toutes les résolutions prônant l’équité.

Le Caucus Socialiste a voulu rationaliser le procédé, afin d’assurer plus de temps pour le débat de politique, en tentant d’amender l’ordre du jour, à l’ouverture du congrès. Même si nous n’avons pas gagné ce vote, ce geste contribua au succès ultérieur de la résolution avancée par le groupe Courage, visant à trouver de meilleurs moyens pour prioriser les résolutions. Malheureusement, la mesure finalement adoptée propose simplement un projet de recherche sur l’utilisation de l’internet pour consulter les effectifs du parti. De ce fait, il n’y aura pas de modification, avant le prochain congrès, au mécanisme existant de priorisation de résolutions excessivement corrompu et manipulateur. Ce sera peut-être pour le congrès suivant.

Plusieurs délégués (surtout ceux qui n’ont sont pas fanatiques du gradualisme au pas de tortue) m’ont remercié et d’autres compagnons du Caucus Socialiste d’avoir tenté d’amender l’ordre du jour. Sûrement, les nombreux conférenciers et les exposés informatifs auraient pu être présentés lors de sessions du soir. N’aurait-il pas été préférable de bénéficier d’activités instructives en alternative au souper avec le chef de parti à 300 $ le couvert ou les rencontres sociales soi-disant gratuites dans les bars aux prix dispendieux? Nécessairement, la base du parti continuera de lutter pour une démocratie plus ouverte au sein du NPD. Il faudra s’efforcer pour instaurer un programme allouant 70 pour cent du temps du congrès au débat de politique, à comparer au ratio méprisable de 42 pour cent observé au cours des congrès précédents des trois dernières décennies. On peut prédire avec confiance qu’au prochain congrès, le NPD appuiera la politique pro-BDS, un résultat impensable il y a seulement quelques années.

Le panel le plus marquant fut « Nation à Nation ». Les conférenciers invités étaient l’activiste-artiste Ellen Gabriel, l’enseignante et consultante anti-violence, Sahra MacLean, et Ian Campeau, un fondateur du groupe de musique A Tribe Called Red. Ils ont présenté des analyses anticapitalistes incisives et excitantes. De même, le chef du British Labour Party, Jeremy Corbyn, a envoyé un message vidéo de solidarité qui a fait soulever la foule, lorsqu’il affirma que « nos deux partis sont socialistes ». Ce fut la seule fois que le mot « socialiste » fut prononcé au-devant de la salle au cours de la fin de semaine.

Le Caucus Socialiste a célébré l’élection d’une de ses candidates à la direction (Dirka Prout pour coprésidente du Conseil des femmes du NPD) et fut ravi du fait que ses candidats ont reçu un soutien important durant les scrutins, avec Corey David recevant 16 pour cent des votes pour président, Gary Porter avec 27 pour cent pour Trésorier, Chris Gosse avec 20 pour cent pour vice-président de la main d’œuvre, et un appui populaire passant de 20 à 33 pour cent pour divers postes au sein de la direction et du conseil fédéral. Quel autre courant gauchiste à l’intérieur du parti présenta aux délégués un choix lors des scrutins pour la direction et le conseil fédéral? Quel autre mouvement au sein du parti a lutté pour des politiques socialistes honnêtes, ou encore pour un programme transitoire articulant les revendications de la classe ouvrière?

Les partisans du manifeste “Un bond vers l’avant” (Leap Manifesto en anglais) ont organisé une rencontre fougueuse d’envergure au Musée de la nature, mais ils ont choisi de ne pas intervenir au cours du congrès du NPD. Ceci a permis aux mandarins de l’establishment du parti de mettre au rancart toute discussion au sujet de la vision prônée par le manifeste. Courage mérite d’être reconnu pour son organisation pancanadien remarquable visant à promouvoir ses propositions pour une démocratie plus ouverte au sein du parti et l’éducation post-secondaire gratuite. De même, on doit féliciter le mouvement des Palestiniens, des Juifs progressistes et autres, qui ont conduit la campagne visant à interdire l’entrée au marché canadien des produits issus des colonies israéliennes illégales. Enfin, NPD Momentum a attiré un public modeste à une série d’événements appelé « Le Monde Transformé ».

Malheureusement, aucun de ces groupes n’a présenté une plateforme politique alternative ou une équipe de candidats pour contester l’establishment du parti de droite, ou encore moins, pour cibler le système capitaliste toxique. Malgré les efforts du Caucus Socialiste, autant avant que durant le congrès, aucun des leaders des groupes sous-mentionnés n’a démontré la volonté de collaborer sur des enjeux spécifiques ou des actions. Alors qu’une fusion des forces politiques n’est pas pour aujourd’hui, en raison des importantes différences entre les programmes et stratégies, une gauche unifiée pour l’atteinte d’objectifs particuliers est possible… et elle serait puissante, sinon irrésistible. L’unité dans l’action devrait être notre objectif commun.

Le forum sur la politique étrangère du Caucus Socialiste eut lieu vendredi soir et présentait l’auteur de Montréal, Yves Engler. Cet événement attira une grande foule et provoqua une excellente discussion qui a animé les délégués au cours des deux prochains jours, alors qu’on s’engageait dans des combats au congrès pour défendre une démocratie plus ouverte et certaines résolutions urgentes. Avec le soutien de douzaines d’associations de circonscriptions de partout au pays, plus de 20 résolutions du Caucus Socialiste furent comprises dans le cartable des projets de résolution du congrès. La table de présentation du cartable devenu un centre d’activisme, générant des revenus d’environ mille dollars. Plus de 35 personnes ont adhéré au Caucus Socialiste au cours du congrès. Loin de se sentir isolé, le groupe fut dynamisé par l’expérience.

Lors du vote de révision de la direction du parti, Jagmeet Singh a obtenu l’approbation de 90,7 pour cent des délégués, un résultat auquel on s’attendait alors qu’il avait accédé au poste de chef du parti il y a seulement quatre mois. Or, il a payé un prix politique pour ses tactiques maladroites de surcontrôle et son discours fade et décousu de 40 minutes. Singh a réussi à fâcher des centaines de jeunes, nouveaux membres, alors que les commentateurs sont demeurés perplexes. La chroniqueuse du Toronto Star, Chantal Hébert, résuma sobrement ainsi : « le discours du nouveau chef n’a pas marqué un grand départ du passé récent ».

L’approche de Singh vise à réduire l’inégalité sociale. Comment? En fermant les échappatoires fiscales, en augmentant l’impôt sur les sociétés, en façonnant un programme d’assure-médicaments pancanadien et des programmes de soins oculaires et dentaires, en réalisant la réconciliation avec les Premières Nations, et en prônant un système de scrutin proportionnel, selon ses dires. Or, en quoi cela diffère-t-il de l’approche du précédent chef discrédité, Tom Mulcair, surtout en l’absence de quelconques propositions audacieuses appelant les grandes entreprises à absorber ces coûts?

Singh a complètement évité le sujet des oléoducs (ignorant la guerre du vin et des mots entre les gouvernements NPD provinciaux de la Colombie-Britannique et de l’Alberta) et il demeura silencieux à l’égard du fléau des changements climatiques (est-il en faveur d’une taxe sur le carbone, d’un système de plafonds et d’échanges, ou de l’appropriation publique des géants de l’énergie afin de rapidement financer une transition rapide vers l’énergie verte?). Son plan général de politique ressemble plutôt à un roman mystère qu’à une plateforme d’un parti politique.

Au son du claquement à une seule main, les fonctionnaires du NPD ont décrété que la réunion serait un « congrès sans papier ». Or, l’application mobile dysfonctionnelle mise à disposition empêchait l’accès à l’information en temps opportun et constituait une source constante de frustration.

En fin de compte, l’image l’a emporté sur la politique, mais non sans difficulté. Si la balance du pouvoir ne penche pas vers la gauche aujourd’hui, il n’en faudrait que peu pour qu’elle bascule… surtout si les socialistes et les progressistes décident de s’unir pour défendre la cause commune de gagner le NPD et d’œuvrer pour un programme travailliste. Après tout, la victoire n’est pas gagnée sans lutter.