
par Robbie Mahood
Le 19 mai 2012, le gouvernement libéral du Québec a adopté une loi draconienne, la loi 78, dans le but de mater la grève massive des étudiants qui secoue la société québécoise depuis plus de quatre mois. La bien nommée Loi Matraque s’en prend aux droits de réunion, de manifestation et de liberté d’expression. La loi suspend la session académique de tous les collèges et universités affectés par la grève, interdit les lignes de piquetage aux abords des institutions d’enseignement, force les professeurs (qui sont majoritairement favorables à la grève) à se présenter au travail lorsque les cours reprendront en août, permet de prélever des retenues à même les cotisations de toute association d’étudiants jugée responsable d’avoir perturbé les cours, et rend illégale toute manifestation qui n’est pas préalablement approuvée par la police. Les associations d’étudiants réputées enfreindre les clauses de la loi seront punies au moyen d’amendes pouvant atteindre cent-vingt-cinq mille dollars par jour.
Le 22 mai, deux cent mille personnes sont descendues dans la rue pour s’opposer à cette loi répressive et soutenir une entente négociée. Plus tard le même jour, le premier concert des casseroles destiné à exprimer le ressentiment populaire envers la loi a été organisé grâce au bouche-à-oreille par internet. Les battements de casseroles, un emprunt aux masses argentines, se sont transformés en activité vespérale récurrente dans de nombreux quartiers de Montréal. (Le 31 mai, des ralliements et défilés solidaires de casseroles ont eu lieu dans plusieurs villes de par le Canada anglais, dont plus de deux mille participants à un bain de foule tintamarresque du secteur centre-ouest de Toronto. NDLR)
La police a choisi d’user de ses nouveaux pouvoirs de manière sélective et guette le moment d’agir. N’empêche, plus de deux mille arrestations ont eu lieu depuis le début du conflit (quatre fois le nombre d’arrestations effectuées pendant l’application de la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970). Plusieurs étudiants ont été blessés gravement par les armes policières. À n’en point douer, les manifestations monstres des 22 mars, 22 avril et 22 mai se sont déroulées pratiquement sans incident puisque tant la police que les provocateurs se sont inclinés devant la loi des grands nombres.
Les étudiants se sont attiré l’admiration générale pour leur courage, leur ténacité et leur créativité. En dépit de cela, le gouvernement reste inflexible. Pourquoi ?
Bien évidemment, quelques réactions indésirables n’ont pu être évitées. Trente années de « rétro-libéralisme » ont eu un impact sur la conscience populaire. D’aucuns croient que les étudiants devraient « payer leur écot », tant l’austérité semble inévitable. Ces gens veulent que l’ordre se rétablisse.
Les médias dominants font bien évidemment la promotion de cette vue et tentent de dénigrer les étudiants en magnifiant chaque incident violent (en évitant soigneusement d’en dire autant de la violence policière). À noter à ce chapitre l’écart de ton entre les médias francophones et anglophones. Ceux dont la plume est la mieux trempée dans du vitriol pour décrire les étudiants sont les médias de droite de l’extérieur du Québec ; tandis qu’à l’intérieur du Québec, les attitudes sont en corrélation très nette selon la langue maternelle.
Cela ne suffit cependant pas pour expliquer la posture rigide du gouvernement qui consiste à ne pas faire de concession. Le parti libéral du Québec est dans une vaste mesure le parti de la classe des capitalistes au Québec, et Charest leur lieutenant. La bourgeoisie québécoise trépigne d’impatience à l’idée d’imposer l’austérité, dans une vaine tentative pour améliorer la position concurrentielle du capital québécois. Les années passées au pouvoir pour les libéraux ont été consacrées à mater l’héritage de la soi-disant « Révolution tranquille », savoir, les gains que les soulèvements ouvriers des années soixante et soixante-dix ont entraînés pour les ouvriers québécois et pour la nation québécoise dans son ensemble. En fait, le gouvernement a été en mesure d’arracher des concessions majeures aux syndicats du secteur public québécois en 2005 et 2010. Il importe de noter qu’en 2005, les libéraux se sont vus forcés de battre en retraite devant la mobilisation des étudiants au moment de leur première tentative de faire avaler à ceux-ci une hausse des droits de scolarité. Aujourd’hui, le gouvernement Charest est déterminé à parvenir à ses fins.
Pour l’emporter contre un adversaire aussi tenace, les étudiants auraient besoin du soutien du mouvement ouvrier, pas seulement des ressources dont les syndicats ont fait don, mais la préparation et l’organisation d’au moins une grève générale d’une journée. Les chefs syndicaux ont refusé d’envisager cette possibilité. Las ! bien que l’idée d’une « grève sociale » soit dans l’air, aucune force politique de taille ne semble disposée à présenter une telle demande aux syndicats et à se battre pour en voir la matérialisation.
Peu importe le résultat de la grève, les jeunes étudiants québécois ont ébranlé le statu quo néolibéral jusque dans son socle. Le combat pour le gel des droits de scolarité, lié au but d’atteindre la gratuité de l’éducation supérieure, a touché un point sensible. Deux visions différentes de la société nous sont présentées : d’un côté, la marchandisation implacable des ressources tant naturelles qu’humaines au bénéfice de quelques-uns et l’amoindrissement du niveau de vie du plus grand nombre en dégradant l’environnement, de l’autre, le contrôle démocratique collectif de la chose publique de manière à garantir une vie décente pour chacun et la promotion de la responsabilité de gérance de la planète, plutôt que sa ruine.
(Robbie Mahood est membre de la Ligue pour l’action socialiste à Montréal.)
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