On pourrait soutenir que les fréquents scandales qui éclatent durant le règne des gouvernements bourgeois détournent l’attention loin des vraies questions de classes sous-jacentes. Mais les crimes et les délits dans les hautes sphères peuvent tout aussi bien révéler les problèmes du système politique capitaliste. Ceci ne pourrait pas être plus vrai que dans le cas de l’actuel scandale qui étreint le gouvernement libéral fédéral minoritaire au Canada.
Le soi-disant scandale des commandites remonte au référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec. Craignant une possible victoire séparatiste (qui a finalement été évitée de justesse), le cabinet Libéral, sous le premier ministre d’alors Jean Chrétien, s’est engagé dans une série de manœuvres pour contourner la rigoureuse loi du Québec sur le financement des campagnes de financement.
Parmi ces manigances, il y avait un plan pour diriger secrètement des fonds publics vers des agences proches du Parti Libéral au Québec, soi-disant pour monter la cote de l’unité canadienne. La plus grande partie de cette histoire avait déjà sorti avant les élections fédérales de juin 2004. Le dégoût des électeurs, spécialement au Québec, était suffisant pour priver le nouveau chef libéral, Paul Martin, de sa victoire largement anticipée.
Le premier ministre Martin a été forcé par la suite de désigner une commission d’enquête publique dirigée par le juge John Gomery. Parmi ceux qui ont été appelés à témoigner, il y avait l’ancien premier ministre libéral Jean Chrétien, qui a symboliquement fait un pied de nez à la commission.
Pendant un certain temps il semblait que Martin réussirait à limiter les dommages. Mais un bénéficiaire important de l’argent des commandites a révélé qu’il était obligé de canaliser une partie des fonds vers les coffres du Parti Libéral. Ceci a relancé le scandale et selon toute probabilité le gouvernement se dirige vers la défaite, déclenchant une élection précipitée et envoyant possiblement les électeurs aux urnes à la fin juin (2005).
Les Libéraux risquent de perdre leur base électorale au profit de l’opposition conservatrice au Canada anglais et du Bloc Québécois nationaliste qui est nominalement engagé pour la souveraineté du Québec. Le Nouveau Parti Démocratique basé sur les syndicats, peut aussi en bénéficier. Les sondages indiquent la possibilité d’un gouvernement conservateur majoritaire avec seulement 36% des votes. L’appui du NPD aux Libéraux, en échange de l’annulation du congé fiscal pour les entreprises promis lors du budget fédéral du 23 février, peut faire gagner du temps au gouvernement Martin. Mais c’est loin d’être certain.
Le scandale des commandites met en évidence encore une fois les difficultés que la bourgeoisie canadienne éprouve à contenir les aspirations nationales des Québécois et à maintenir au moins un parti avec une forte représentation au Québec en tant que tremplin pour le pouvoir national (pancanadien).
Dans le passé, les Libéraux étaient ceux qui avaient le mieux réussi à utiliser cette stratégie avec les Conservateurs intervenant au pied levé. Cependant, depuis la crise constitutionnelle du début des années 90, les Conservateurs ont perdu toute leur base au Québec, reflétant l’absorption des Conservateurs par des forces de droite basées dans l’Ouest du Canada, sous la direction de l’idéologue d’extrême-droite et actuel chef du Parti Conservateur, Stephen Harper.
Le scandale des commandites est donc un coup direct à ce système de domination politique parce qu’il a touché directement à l’intégrité du Parti Libéral, le seul prétendant restant au rôle d’unificateur binational. Le sentiment nationaliste au Québec profite de plus en plus au Bloc Québécois nationaliste bourgeois, qui contrairement aux espoirs fédéralistes, n’est pas juste un phénomène éphémère.
Les prochaines élections québécoises, qui auront lieu dans deux ans (2007), pourraient voir le retour au pouvoir du Parti Québécois souverainiste, avec la perspective d’un autre référendum sur l’indépendance du Québec. C’est un scénario cauchemardesque pour la bourgeoisie canadienne, mais la capacité de Paul Martin de jouer cette carte pour éviter la défaite a été en fait paralysée.
Un gouvernement majoritaire conservateur à Ottawa serait basé sur une faible majorité du vote populaire et peut seulement accélérer à la fois les divisions nationales et de classes à l’intérieur de l’État canadien. Ce qui ne veut pas dire que l’élection de ce parti rétrograde serait désirable d’une quelconque façon. Mais il est pratiquement impossible de mettre en place le type de gouvernement stable que la bourgeoisie canadienne a traditionnellement obtenu avec les Libéraux et les Progressistes-Conservateurs d’autrefois.
Quant au Nouveau Parti Démocratique, son appui risque de monter de 15.7% lors des élections de juin 2004 à 20.5%, selon un sondage EKOS au début avril 2005. Ceci pourrait continuer d’augmenter si le vote libéral continue de chuter.
La crise parlementaire actuelle présente au NPD l’opportunité de rompre avec la fidélité du moindre mal des électeurs ouvriers urbains au Parti Libéral, surtout en Ontario. Mais ceci dépendra de la volonté du chef du NPD Jack Layton de faire campagne sur des questions qui différencient clairement le NPD des Libéraux en terme de classe et de présenter une défense résolue et catégorique des droits nationaux du Québec.
-Robbie Mahood est membre de Socialist Action/Ligue pour l’Action Socialiste à Montréal