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Ontario, Canada : « Tout le mouvement syndical de la province était prêt à une grève générale »
C’est avec un peu de retard que nous revenons ici, sur une mobilisation du personnel de l’éducation au début novembre et publions le contenu de l’interview que nous a accordée Julius Arscott, membre de la commission exécutive du syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario. Ce mouvement a été remarquable par la pression mise par les syndiqués sur leur direction syndicale, pour ne pas faire de concessions au patronat dans un contexte d’inflation (5,6 %). L’autre trait remarquable a été la solidarité de tout le mouvement syndical envers les travailleurs de l’éducation. Une révolte… qui en appelle d’autres !
55 000 travailleurs de l’éducation (personnels techniques et administratifs) de l’Ontario, syndiqués par le Cupe (syndicat canadien de la fonction publique) se sont en effet mobilisés par une grève massive et considérée comme illégale, le 4 novembre, entraînant un mouvement de solidarité du mouvement syndical de la province. Cette mobilisation concernait l’augmentation des salaires mais a pris un caractère politique lorsque le Premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a proposé une loi (la loi 28) pour empêcher les grèves des employés du public. Doug Ford est issu du parti « Progressiste/Conservateur », parti de droite conservatrice. Face à la menace d’une nouvelle journée de grève le 12 novembre et à un rassemblement intersyndical le 14, cette loi a été retirée par Ford le 11 novembre. Les grèves annoncées ont été annulées, les directions syndicales considérant que la bataille avait été remportée sur la loi 28 et se réservant la possibilité d’appeler à une nouvelle grève dans le cadre des négociations salariales. Julius Arscott, membre de la commission exécutive du syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (OPSEU/SEFPO qui syndique les employés des collectivités territoriales), qui a également participé à la mobilisation et membre du comité exécutif de la Ligue de l’action socialiste (Socialist Action Canada) revient avec nous sur cette mobilisation qui fait date.
Avant de lui laisser la parole, précisons que dans la province de l’Ontario, les conditions de travail (horaires, rémunération, etc.) sont fixées par un contrat entre le syndicat et l’employeur, quand un syndicat existe. Le syndicat, élu par une majorité des travailleurs de l’entreprise, représente l’intégralité des salariés dans les négociations qui ont lieu périodiquement (tous les deux ou trois ans en moyenne). Le contrat inclut souvent une clause de non grève. La grève est illégale sauf quand elle a lieu pendant les périodes de négociation entre deux contrats. Le mouvement syndical de l’Ontario (qui représente 26,8 % des salariés) est très bureaucratique et au mieux, essaie de négocier avec les employeurs de meilleures conditions de travail en menaçant de faire grève mais en appelant rarement ses membres à la faire.
Quelle était donc l’ambiance politique avant la grève ?
Le chef du Parti progressiste-conservateur, Doug Ford, a été élu Premier ministre de l’Ontario en 2018. Les gens de gauche étaient assez déçus. Doug Ford a traversé plusieurs scandales, notamment celui de la consommation de cocaïne de son frère cadet Rob Ford, le maire de Toronto. Malgré tout cela, il a été réélu Premier ministre. Cependant, au total, seulement 18 % du corps électoral a voté pour lui, l’abstention étant très importante. Le principal parti de gauche, le New Democratic Party, basé sur les syndicats, a perdu un million de voix entre 2018 et 2022. Leur plateforme politique consistait principalement à dire que le Parti libéral était pire qu’eux. Doug Ford est une figure à la Trump. La période a également été marquée par le « convoi de la liberté ». Des petits propriétaires de camion et des plus grandes entreprises se sont rassemblés autour d’une plateforme complotiste antivax. Ce mouvement s’est terminé par un campement devant le palais du gouvernement à Ottawa, la capitale fédérale. Cette initiative a fédéré l’extrême droite et même si elle se prétendait « populaire », aucun syndicat ne l’a soutenue. Le convoi s’opposait également à Doug Ford en disant que la pandémie n’était pas réelle. Malgré ça, la fille de Doug Ford, mariée à un policier, a soutenu le convoi. Les sondages ont montré que seulement 15 % de la population soutenait le convoi.
Pourquoi les travailleurs de l’éducation de l’Ontario se sont-ils mobilisés ?
Le secteur était déjà en pleines négociations contractuelles. Comme partout, les paies sont faibles. Les personnels techniques comme les concierges sont payés en dessous du seuil de pauvreté. L’administration proposait des hausses de salaires entre 0 et 1 % ce qui est bien en deçà de l’inflation (de 5,6 %). Il y a eu un vote des membres autorisant la direction du syndicat à appeler à la grève. C’est alors que le Premier ministre de l’Ontario, le conservateur Doug Ford, a essayé de faire voter la loi 28. La loi 28 est une loi dont le but était d’empêcher la grève.
Quels ont été les moments forts de cette grève, selon toi ?
Les travailleurs et leur syndicat (Cupe) ont réussi à vaincre la loi 28 ! Ensuite ce qui est important c’est que mon syndicat (OPSEU/SEFPO) qui organise 8 000 travailleurs du secteur public (collectivités territoriales) s’est lancé dans une grève surprise, donc illégale, en soutien aux travailleurs de l’éducation le 4 novembre. Une fois débarrassée de la loi 28, la direction de la Cupe a cependant arrêté la grève. L’autre élément notable, c’est que tout le mouvement syndical de la province était prêt à une grève générale même si celle-ci n’a pas eu lieu.
Quel a été le moteur de cette grève ?
C’est la base du syndicat qui a poussé sa direction à l’action. La base en avait vraiment marre. Puis la loi 28 aurait créé un dangereux précédent. Les directions syndicales ont surfé sur la mobilisation qui était le fruit des militants de base. Les directions syndicales ont malgré tout organisé des bonnes choses comme les caisses de grève. Dans le mouvement syndical canadien, chaque syndicat opère de manière un peu indépendante, et c’est très différent selon qu’on bosse dans le privé ou le public. Pour le public, la loi 28 aurait retiré le droit de grève aux travailleurs. Un précédent dangereux pour tout le mouvement syndical.
Le parlement de l’Ontario n’a pas voté la loi 28. La bataille pour les salaires du syndicat Cupe et des travailleurs de l’éducation recommence : il y aura une prochaine journée de grève le 21 novembre [1]. L’OPSEU se bat également de son côté pour les salaires et contre la privatisation des services publics.
Le New Democratic Party (NDP, sorte de Labour Party canadien basé sur les syndicats) s’est battu du côté des travailleurs notamment au Parlement. Cependant la ligne du parti était de demander l’arbitrage de l’État dans les conflits sociaux, ce qui n’est pas une bonne chose, car l’État est toujours du côté des patrons.
Quelle est l’ambiance politique après la grève ?
La grève a donné confiance en elle à la classe ouvrière. Un juge vient de décider que la loi 124 de 2019 qui interdisait les augmentations de salaire de plus de 1 % par an dans la fonction publique était nulle et non avenue. Cette loi touche 700 000 travailleurs du public qui pourraient bien se mettre en mouvement. Le mouvement ouvrier discute de se servir de ce jugement pour recommencer des bagarres pour les salaires.
Propos recueillis par Stan Miller le 17 novembre 2022
[1] Un accord temporaire a été conclu avant le 21 novembre, la grève a été annulée. L’accord final a été ratifié par 73 % des votants le 5 décembre. Cet accord prévoit notamment des augmentations de 3,59 % (ou d’un dollar de l’heure) par année.