L’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC ENCORE À L’ORDRE DU JOUR

Quoique incompréhensible à de nombreuses personnes au Canada anglais, la question de l’indépendance nationale du Québec continue de peser lourdement dans la vie politique de cette province et du Canada tout entier. Que les élections fédérales du 23 janvier amènent ou non un autre gouvernement minoritaire, une chose est claire : le Québec et le reste du Canada vivent dans des univers politiques différents et le gouffre entre eux va en s’élargissant.
Les électeurs du Québec semblent disposés à renforcer la position déjà dominante du Bloc Québécois nationaliste bourgeois au parlement fédéral laissant les Libéraux de Paul Martin avec une base qui se rétrécit sans cesse au Québec, tout en bloquant l’entrée aux Conservateurs et au Nouveau Parti Démocratique.
Les Québécois sont beaucoup plus déterminés que les électeurs du Canada anglais à punir les Libéraux fédéraux pour leur utilisation scandaleuse des fonds publics pendant et après le référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec. Les sondages indiquent que le Bloc pourrait obtenir jusqu’à 55% des votes au Québec.
Ces réalités politiques étaient vraiment frappantes à la mi-décembre quand j’ai travaillé dans cette petite communauté industrielle et agricole du nord-ouest du Québec, située près de la frontière ontarienne. A Ville Marie les élections fédérales sont le spectacle d’un seul parti.
Trois grandes affiches sur la rue principale nous assurent qu’ « Heureusement ici c’est le Bloc Québécois ». Il n’y a aucune affiche libérale en ville, sans parler des Conservateurs et du NPD. Mais à moins d’une heure et demie de route, de l’autre côté de la rivière Ottawa dans la région minière du nord-est de l’Ontario, la bataille se joue entre le NPD basé sur les syndicats et les Libéraux.
Ville Marie est un microcosme de la politique du Québec aussi bien au niveau fédéral que national (i.e. provincial). Il n’y a aucun sentiment d’amour envers le gouvernement libéral de Jean Charest alors que ce dernier tente d’affaiblir de manière décisive les syndicats et de démanteler les services publics prisés par la population.
Ici et partout à travers le Québec les écoles ont été fermées à raison d’une ou deux journées par semaine quand les professeurs faisaient des moyens de pression pour un nouveau contrat de travail. Ce matin (une journée du mois de décembre), à une température de moins 30 degrés, des travailleurs et travailleuses du secteur public ont dressé des lignes de piquetage autour de leurs lieux de travail.
L’offensive libérale ne s’est pas produite sans résistance. L’année dernière, une grève étudiante massive éclata dans laquelle une nouvelle génération de Québécois et Québécoises a forgé sa première expérience politique. Cet automne, il y a eu des grèves rotatives du secteur public et des manifestations de masse contre la privatisation des garderies.
A cause de l’inexistence d’un front commun entre les centrales syndicales québécoises et de l’absence d’une menace de grève générale, Charest survivra probablement à la lutte en cours. Mais son gouvernement en paiera le prix dans les sondages d’opinion.
L’opposition officielle formée par le Parti Québécois (PQ), l’homologue provincial du BQ, a l’espoir de capitaliser sur la colère publique contre les Libéraux provinciaux et fédéraux. Le PQ a récemment congédié son vétéran leader, Bernard Landry, et a choisi un jeune politicien de carrière, André Boisclair, comme son successeur. Boisclair, qui a une belle image télévisuelle, est une sorte de caméléon, mais il a été le choix de l’establishment du parti et il dirigera le PQ dans la voie du néolibéralisme pur et dur tout en gardant les options ouvertes sur la question de la souveraineté.
Le retour du PQ au gouvernement à Québec, avec une présence renforcée du Bloc à Ottawa, créerait une pression forte mais pas nécessairement inexorable pour un autre référendum sur l’indépendance du Québec. C’est un cauchemar pour la bourgeoisie canadienne.
Les capitalistes québécois ont eux aussi peur d’un autre référendum à cause de l’instabilité politique et économique qui en résulte. Il y aura donc une énorme pression de la part de la classe capitaliste à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du Québec pour reporter indéfiniment un « autre rendez-vous avec le destin » ou pour atténuer autrement l’agenda souverainiste.
D’un autre côté, chaque tentative de saper ou de détruire le mouvement indépendantiste semble avoir l’effet contraire. La résistance populaire et ouvrière aux politiques néolibérales des partis fédéralistes, que ce soit à Ottawa ou à Québec, augmente également le sentiment pour l’indépendance.
L’avance électorale du BQ, et potentiellement du PQ, semble préfigurer la domination continuelle du mouvement indépendantiste par ces forces pro-capitalistes. Mais ce ne sera pas nécessairement le cas.
Le mouvement ouvrier du Québec a eu l’opportunité de créer une alternative politique pour la classe ouvrière pendant la vague de luttes nationalistes et syndicales qui secoua le Québec dans les années 60 et 70. Il n’a pas réussi à le faire, en grande partie à cause des réflexes de collaboration de classes de la bureaucratie syndicale. Mais cet héritage malheureux montre des signes de dénouement.
En premier lieu, il y a une désillusion croissante envers le PQ. Elle n’a pas encore atteint des proportions massives, mais c’est néanmoins palpable.
Le PQ se présente lui-même, quelque peu sincèrement, comme étant plus modéré dans la poursuite de l’austérité capitaliste que le PLQ ou l’Action Démocratique du Québec populiste de droite. Mais en tant que porteur traditionnel de l’indépendance du Québec et à cause de son rôle historique dans la consolidation de l’État québécois moderne, le PQ soulève des espoirs pour un modèle social différent de celui qui domine. Par conséquent, son adhésion aux politiques néolibérales est considérée comme une trahison par les éléments les plus conscients politiquement dans sa base ouvrière et populaire. Le choix de Boisclair comme chef va probablement accélérer cette dynamique.
Le capital politique du BQ est beaucoup plus intact. Son statut d’opposition perpétuelle à Ottawa lui permet de prendre des positions plus progressistes sur plusieurs questions et son chef, Gilles Duceppe, un ancien maoïste et permanent syndical, jouit d’un grand respect à cause de sa défense des « intérêts » nationaux du Québec à Ottawa.
Les Québécois ont tendance à utiliser  leur vote aux élections fédérales pour des buts défensifs limités. Ce qui signifie que le BQ est mieux protégé des contradictions qui affectent plus directement son homologue provincial.
Une rupture avec le nationalisme bourgeois risque davantage de se produire au niveau de la scène politique du Québec, plutôt qu’au niveau fédéral, particulièrement en regard du traditionnel chauvinisme anglo-canadien du NPD et de son refus de défendre les droits nationaux du Québec. Cette rupture future et l’importance d’une ouverture pour la gauche seront mises à l’épreuve avant les prochaines élections québécoises.
Deux organisations de la gauche québécoise, Option Citoyenne et l’Union des forces progressistes, avec plus de 5000 membres en commun, fusionneront dans un seul parti politique en février 2006. Tout en affirmant leur appui pour l’indépendance du Québec, les deux organisations se sont engagées à mettre fin à l’emprise des partis néolibéraux sur la vie politique du Québec.

Par Robbie Mahood