LES ÉLECTIONS CANADIENNES PORTENT AU POUVOIR UN GOUVERNEMENT DU PARTI CONSERVATEUR

Le 23 janvier dernier, les élections fédérales canadiennes ont causé quelques surprises, tout en reflétant les antagonismes nationaux et de classes qui sont à la base de l’État canadien et l’expression politique particulière de ces contradictions depuis les 15 dernières années.
Les Conservateurs ont supplanté presque de justesse les Libéraux à la tête d’un autre gouvernement minoritaire. Les Libéraux ont baissé de 135 à 103 sièges, alors que les conservateurs ont monté de 99 à 124. Le Bloc Québécois a baissé légèrement de 54 à 51 sièges, alors que le Nouveau Parti Démocratique (lié au mouvement ouvrier au Canada anglais) a augmenté sa représentation de 19 à 29 sièges.
Le total des votes populaires a été de 36.5% pour les Conservateurs, 30.5% pour les Libéraux, 17.5% pour le NPD, 8.5% pour le BQ et 4.5% pour le Parti Vert.
L’élection d’un gouvernement conservateur semblerait présager un brusque tournant à droite. Dirigés par l’idéologue néo-conservateur Stephen Harper, les Conservateurs sont un amalgame de l’ancien Parti réformiste et des restants du Parti progressiste-conservateur, un parti modéré de centre-droite qui était au bord de l’extinction politique.
Harper représente l’aile la plus fanatique et dominante dans l’Ouest canadien de ce parti de droite, dont la plateforme a été largement considérée comme étant incompatible avec « les valeurs canadiennes dominantes ». Comment expliquer alors la victoire conservatrice?
Plutôt qu’un endossement pour les Conservateurs, cette élection a été une punition pour les Libéraux. L’infâme scandale des commandites, dans lequel les Libéraux ont détourné des fonds publics vers un groupe de clients du parti pour saper la tentative de faire  l’indépendance du Québec lors du référendum de 1995, a continué de hanter le régime minoritaire libéral de Paul Martin.
Martin, qui a été salué par le monde des affaires en tant que ministre des finances dans le gouvernement Chrétien, fût l’architecte de la dégradation massive des services publics qui a pris place dans les années 90. Les tentatives des Libéraux de se faire passer pour des progressistes sont devenues de plus en plus vaines.
Au début, il semblait que les Libéraux pourraient survivre au désenchantement public largement répandu en remportant une autre victoire minoritaire. Mais une campagne terne dans laquelle il n’y avait pas de sujets susceptibles de créer l’enthousiasme a joué à l’avantage des Conservateurs, qui cherchaient avec un certain succès à camoufler leur agenda de droite. Étant donné que la campagne conservatrice prenait de la vitesse, les médias bourgeois de droite ont commencé à projeter et promouvoir un gouvernement conservateur majoritaire mais ils furent induits en erreur par leurs propres sondages biaisés.
Le Nouveau Parti Démocratique n’a pas réussi à défier le consensus étroit. Le chef du NPD Jack Layton a serré les rangs avec les Libéraux sur le Québec en renversant son opposition antérieure à la Loi sur la Clarté référendaire, qui serait utilisée par n’importe quel gouvernement fédéral pour invalider un vote du Québec pour la souveraineté. Il a essayé d’égaler les Conservateurs avec une rhétorique de loi et d’ordre.
Sur les questions internationales Layton a endossé l’intervention militaire canadienne en Afghanistan et fût silencieux sur le rôle crucial du Canada dans  l’intervention impérialiste en Haïti. Layton a présenté le NPD comme étant le défenseur « des familles ouvrières » et du système public de santé, mais quand il fût mis au défi il a évité les propositions concrètes et refusé d’avancer toute politique créatrice ou audacieuse pour réaliser ses objectifs.
Layton a de plus affaibli la campagne du  NPD en abandonnant toute perspective d’un gouvernement NPD et en proposant seulement de renforcer la représentation du NPD pour servir de contrepoids à n’importe quel parti bourgeois qui sortirait victorieux.
Le président des Travailleurs Unis de l’Automobile, Buzz Hargrove, a fait un pas de plus en poussant les partisans du NPD à voter libéral partout où le NPD n’était pas en mesure de gagner, dans le but de battre les Conservateurs. Selon Hargrove, « la direction fondamentale de la société canadienne était en jeu dans cette élection ». Heureusement, cette fausse affirmation a eu peu d’impact parce que la plupart des partisans du NPD ont voté selon un réflexe élémentaire de classe qui a rejeté les deux partis de la grande entreprise.
L’autre victime des projections gonflées des sondages fût le Bloc Québécois. Quoiqu’il a conservé 51 des 75 sièges du Québec, la part du vote populaire pour le BQ au Québec a chuté de 48 à 42.5%. Les Conservateurs sont passé de 0 à 10 sièges au Québec sur une vague tardive qui leur a donné presque 25% des votes dans cette province. Les Libéraux ont dégringolé à moins de 20% du vote québécois et 13 sièges et furent réduits à leur bastion anglophone dans Montréal.
En dépit d’une campagne vide et en retrait par rapport à ses positions antérieures, le NPD a réalisé une légère avance dans le vote populaire et une augmentation plus significative du nombre de sièges en Ontario et en Colombie-Britannique. C’est un développement positif en ce sens qu’il renforce une rupture de classe avec les partis bourgeois et qu’il accroît jusqu’à un certain point la confiance de la classe ouvrière au Canada anglais qui a été ébranlé par 30 ans de néolibéralisme.
A l’intérieur des contraintes de leur faible mandat, les Conservateurs vont essayer d’avancer leur programme réactionnaire : plus de réduction d’impôts pour favoriser les riches, davantage de réduction des programmes sociaux, le transfert des pouvoirs de taxation et de réglementation aux provinces, la privatisation accélérée du système de santé, l’augmentation des dépenses militaires, un appui plus explicite pour l’axe impérialiste Bush-Blair et plus de mesures coercitives pour les jeunes contrevenants.
Jusqu’à quel point Harper est capable d’aller de l’avant avec ces points et d’autres de son agenda ne dépend pas tellement des manœuvres parlementaires mais plutôt du niveau d’opposition populaire qui peut être mobilisée contre le gouvernement.
La question du Québec est encore la source majeure d’inquiétude politique pour la classe dirigeante canadienne. Le Québec a toujours été crucial pour l’exercice du pouvoir politique de la bourgeoisie dans l’État canadien et c’est encore le cas aujourd’hui. Le déclin des Libéraux fédéraux au Québec et la montée du Bloc engendrent une crise réelle pour ce système de domination et posent bien sûr la question d’une autre tentative pour l’indépendance du Québec par les forces souverainistes.
La réapparition limitée des Conservateurs sert donc à ranimer les espoirs des fédéralistes en ce qui concerne leur situation de plus en plus moribonde au Québec. Nous pouvons être sûrs que, quelque soit la déception de sa base francophobe de l’Ouest canadien, le portefeuille du Québec sera une priorité stratégique pour le gouvernement Harper.

Par Robbie Mahood